« Louis XIII était journaliste« . C’est ce qu’affirme sans détours Jean-Baptiste Honoré, auteur de « Richelieu, Mazarin, la Fronde et le règne de Louis XIV ». (éd. Dufey, 1835) Une affirmation qui peut surprendre, tant on a du mal à imaginer un souverain en grand reporter, confiant aux journaux tous les secrets du Royaume. Un roi, « journaliste« , vraiment ? Plutôt un « auto-attaché de presse »… tant il est vrai qu’un souverain peut difficilement être qualifié de « journaliste », mais tout au plus de « communicant. »
Louis XIII en grand reporter battant le pavé de Paris pour remettre sa copie au rédacteur en chef de La Gazette… Dans son livre Les écrivains sur le trône: rois et princes journalistes depuis Louis XIII, paru en 1865, l’écrivain Edouard Fournier imagine la scène : « il nous semble le voir, quittant sournoisement son Louvre, pour se rendre à bas bruit dans la rue de la Calandre, en la cité, car c’est là que mettre Théophraste avait établi le bureau d’adresse, d’où il datait sa Gazette ».
Effectivement, le Louvre étant tout proche de l’île de la Cité, où se trouvait le siège de La Gazette, le roi n’avait qu’à traverser un pont pour s’y rendre -mais il est probable que la scène évoquée a dû rester imaginaire…
Ceci dit, il est vrai que Louis XIII écrivait régulièrement dans La Gazette, journal hebdomadaire fondé en 1631.
Monopole et privilège
C’est qu’il pouvait s’y sentir en confiance : il avait en effet accordé à son médecin personnel, Théophraste Renaudot, « privilège et permission de faire imprimer, vendre et distribuer (les) Gazettes, Relations et Nouvelles tant de ce royaume que de l’étranger. »
Pourquoi un tel privilège et pourquoi un tel monopole ? Parce qu’au XVIIe siècle, la presse en France existait déjà…. mais à l’état chaotique. Pamphlets, feuilles volantes, libelles… les documents écrits passaient de main en main et surtout racontaient souvent n’importe quoi. Informations véridiques, mais aussi fantaisistes, scandaleuses, injurieuse, et aussi des rumeurs, et aussi des calomnies…
Dans les “Mémoires” (apocryphes, éd. Albatros) de Théophraste Renaudot, Christian Bailly rappelle que « les informations étaient des conversations criées dans les cités. Il y avait des affiches et placards collés sur les murs. La correspondance jouait son rôle de déformation des nouvelles. Les colporteurs déambulaient. L’information était liée au hasard.”
Bref, le XVIIe siècle était une époque où Donald Trump aurait pu sans aucun problème se faire passer pour le roi de Prusse. Mais cette confusion ne faisait pas les affaires du roi Louis XIII. Ce dont il avait besoin, c’était que les citoyens puissent disposer d’une presse où, certes, tout ne serait pas dit, où tout ne serait pas écrit, où tout ne serait pas révélé, mais où (presque) tout serait avéré. Une façon de rassembler les lecteurs en quête, sinon de « Vérité » absolue, du moins d’exactitude dans les faits rapportés.
Quand Théophraste Renaudot lance la Gazette, en 1631, il sait donc parfaitement ce qu’on attend de lui. Car il connaît bien le roi. Celui-ci ne lui a-t-il pas accordé en 1628 un « privilège royal » pour qu’il puisse ouvrir vers 1625 son « Bureau d’adresses », l’ancêtre de Pôle Emploi ? Et, ce qui ne gâte rien, il connaît aussi Richelieu, qui l’a fait entrer en son Conseil.
« La voix de la France et de la royauté »
L’intérêt de Louis XIII pour une Gazette qui serait “la voix de la France et de la royauté” s’explique par le contexte dans lequel est né le journal. En 1630, le roi se bat sur pas moins de quatre fronts : d’abord face aux « Grands » du royaume, à savoir la noblesse rebelle (qui déclenchera d’ailleurs la Fronde en 1648), ensuite, face aux Habsbourg catholiques, dont les possessions encerclent et semblent menacer la France (Espagne, Saint Empire germanique, Pays-Bas, influence en Italie,…), puis face à l’ambition envahissante de sa mère (il dira : « Je suis plus attaché à mon État qu’à ma mère »), et enfin face à l’influence croissante des protestants.
Autant de fronts, autant de chantiers, autant d’adversaires aux intérêts parfois convergents mais souvent contradictoires : on comprend que Louis XIII ait éprouvé le besoin de faire connaître sa vision du monde et de l’actualité.
Sur le plan extérieur, il s’agit donc pour Louis XIII de faire connaître la position de la France sur les grandes questions européennes. Il est vrai que les souverains européens possèdent déjà leurs propres organes de propagande. Ainsi du Mercure anglais, créé en 1588, “imprimé par Christophe Barker, imprimeur de Son Altesse. [La reine Élisabeth 1ère NDLR]”. Selon Edouard Fournier, auteur en 1865 de Les écrivains sur le trône: rois et princes journalistes depuis Louis XIII (éd. Dupray), il s’agit d’une “machine de guerre pour Élisabeth (...) S’agissait-il de répondre aux fanfaronnades de l’Espagne et aux bulletins anticipés que Lopez de Vega, embarqué tout exprès, publiait pour les triomphe à venir de la flotte immense; s’agissait-il surtout de rassurer la population des côtes, jetée dans le découragement par la crainte d’une invasion ? Vite un Mercure était lancé, et l’apparition de cette feuille, où se retrouvait à chaque ligne la main toujours ferme et l’âme forte d’Elizabeth, faisait autant peut-être pour rendre l’espoir à ces familles épouvantées que la vue même de la flotte royale.”
Lutter contre les « fake news »
Sur le plan intérieur, il s’agissait aussi pour Louis XIII de lutter contre les “fausses nouvelles”. Ainsi Renaudot écrit-il dans sa préface de 1631 : « Mais surtout [les gazettes] seront-elles maintenues par l’utilité qu’en reçoivent le public et les particuliers. Le public, pource qu’elles empêchent plusieurs faux bruits qui servent souvent d’allumettes aux mouvements et séditions intestines. «
Gilles Feyel souligne, dans “Théophraste Renaudot et ses premiers discours éditoriaux” : Tuer les rumeurs en assurant une information claire et circonstanciée, voilà depuis toujours l’un des rôles les plus essentiels de la presse. Remarquons ici, qu’en ces temps de soulèvement populaire et nobiliaire contre l’accroissement des prélèvements fiscaux, les gazettes sont fort utiles au pouvoir d’État, ainsi que l’indique très clairement Renaudot. Elles sont aussi bien utiles aux personnes privées, qui peuvent gérer leurs occupations en fonction de ce qu’elles leur apprennent sur l’actualité, et notamment la guerre, en ces temps de la guerre de Trente Ans.”
Non seulement Renaudot s’interdit de publier de “faux bruits”, mais il s’astreint également à respecter “la vérité”. En cela, il sera le précurseur de métiers comme ceux de correcteurs, de relecteurs ou de secrétaires de rédactions, encore plus indispensables de nos jours qu’ils ne l’étaient à l’époque.
“Vérité”, “naïveté” et “ingénuité” : ces trois mots reviennent constamment sous sa plume. Il précise, dans sa Préface de 1631 : “En une seule chose ne céderai-je à personne, en la recherche de la vérité, de laquelle néanmoins je ne me fais pas garant.” Quoi ? Comment ? Il ne s’en fait pas “garant” ? Négligence ou incompétence ? Non, prudence et humilité, puisqu’il précise :”Étant malaisé qu’entre cinq cents nouvelles écrites à la hâte d’un climat à l’autre, il n’en échappe quelqu’une à nos correspondants qui mérite d’être corrigée par son père le temps”. Il écrit aussi, dans sa Relation de 1632: « Aussi n’ai-je autre intérêt qu’à vous dire la vérité, quelque haine qu’elle ait coutume d’engendrer. Je la courtise tellement que je la vais chercher jusques aux climats plus éloignés.”
Pionnier de la vérification des sources
Pionnier de l’éthique journalistique, il théorise la notion de vérification des sources, et peut aller jusqu’à utiliser une vingtaine de sources différentes pour vérifier une information :
« Une lettre partiale et qu’on n’aura pas moins de peine à lire qu’il y en aura eu à la faire déployer, (…) rencontrera quelquefois plus d’attention et de créance dans les esprits, que le plus certain article de nos Relations, tiré d’une vingtaine de lettres de divers endroits, auquel la conformité aura servi de pierre de touche.«
Il va même jusqu’à inventer la notion de droit de réponse : “Et ceux qui se scandaliseront (…) de deux ou trois faux bruits qu’on nous aura donnés pour vérités, seront par là incités à débiter au public par ma plume (que je leur offre à cette fin) les nouvelles qu’ils sauront plus vraies, et comme telles dignes de lui être communiquées. »
“Tout l’objet de ce long discours éthique est de permettre à Renaudot d’afficher une certaine distance et par rapport à un pouvoir d’État très fort et très contraignant, source de toute information, et par rapport à ses lecteurs, grâce à la vérité des faits”, explique Gilles Feyel.
Renaudot a effectivement des principes auxquels il ne veut pas déroger. Ce qui n’est guère facile, quand on reçoit une pension de 500 écus par an (environ 4 500 euros) pour chanter les louanges du souverain qui vous a accordé le « monopole » de l’information. Tout l’intérêt de sa Gazette résulte donc de la tension entre l’exigence de Renaudot pour la “Vérité”, et le désir du roi d’imposer sa vision.
Du coup, tout en défendant férocement la notion de “vérité”, Renaudot ne lésine pas quand il s’agit de flatter le roi. Et côté flatteries, Renaudot ne lésine pas. Il chante “les actions de notre Monarque [qui] rayonnent d’une telle splendeur, qu’elles éclairent tout le continent, et servent de lumière à celles de tous les autres Potentats du monde”.
“Je vous flatte, mais laissez-moi faire mon métier.”
Ces flatteries ne trompent personne, mais Renaudot les utilise pour obtenir du roi qu’il lui laisse -autant que possible- la bride sur le cou dès lors qu’il s’agit de garantir la véracité des informations rapportées à ses lecteurs. Une sorte de “donnant-donnant” : “je vous flatte, mais laissez-moi faire mon métier.” Le “deal” semble clair : “je n’imprimerai pas tout, mais tout ce que je publierai sera exact.”
Mais Renaudot flatte aussi Louis XIII en le laissant écrire des articles dans La Gazette… Ainsi, le blog Histoires Lorraines reproduit l’un de ses “articles”, en précisant que le roi y parle de lui-même à la troisième personne. L’un des “articles” de Louis XIII commence par exemple ainsi : “Le Cardinal de Lorraine partit d’ici dimanche dernier pour retourner trouver son frère, et est revenu ce matin 7ème du mois. Cet après-dîner, il a été deux heures enfermé avec sa Majesté et Monseigneur le Cardinal, sur quoi I’on ne peut encore rien assurer de la paix ou de la guerre, cela étant encore incertain. Le Roi ne se contentant pas d’avoir reconnu les postes avantageux, a voulu tracer Iui-même tous les forts et les lignes de la circonvallation (réseau de fortifications NDLR) du camp et pour cet effet il y a 2 jours qu’il sort de son quartier à 5 heures du matin et n’y rentre qu’à nuit fermante.”
Car ce sont surtout des récits militaires que Louis XIII aime écrire. Il est vrai que lorsqu’on est roi et chef de guerre, on dispose sur la bataille d’un point de vue un peu plus panoramique -mais moins réaliste- que celui de Fabrice à Waterloo.
Mais il n’y a pas que la guerre dans la vie, et il arrivera aussi à Louis XIII de considérer la Gazette comme un Closer ou un Voici du XVIIIe siècle : il a ainsi l’habitude de rédiger de courts articles pour déstabiliser ou faire enrager son épouse, Anne D’Autriche. Edouard Fournier écrit ainsi : “Une comédie plus vrai et non moins plaisante, c’est celle qui se jouait dans les coulisses de cette même Gazette, entre Louis XIII et Anne d’Autriche. Lorsqu’il y avait quelques dissidence politique dans le royal ménage (…), Louis XIII s’en confiait encore à La Gazette pour conter au monde ses doléances. Il écrivait ce qu’il n’osait pas dire, puis riait bien sous cape en voyant circuler sa vengeance anonyme et en étudiant ses effets sur l’âme altière d’Anne d’Autriche”.
Reporter de guerre, éditorialiste, échotier… Louis XIII aura donc tâté de tous les métiers du journalisme -pardon, de l’auto-promotion royale.
Laurent Calixte
BONUS:
Lisez le premier numéro de la Gazette, publiée en 1631.
LIENS :
France Culture : l’histoire vraie des fausses nouvelles.
Le Monde : la longue histoire des fake news