L’affiliation est une source méconnue de revenus pour les sites d’information. Le système consiste à insérer des liens sous certains mots-clés mentionnés dans des articles en ligne-en général, des noms de marques ou de produits. Lorsque l’internaute achète le produit après avoir cliqué, le site perçoit une commission. Cette technique est très utilisée par les sites d’info sur la high tech ou les produits de consommation. Mais respecte-t-elle l’éthique journalistique ? Interview de Jérôme Durel, ex-responsable de l’affiliation du Journal du Geek.
Journalisme Magazine : qu’est-ce que l’affiliation?
L’affiliation permet de financer un média en ligne sans trahir l’éthique journalistique. Il s’agit tout simplement d’inclure un lien vers un site marchand quand un article évoque tel ou tel produit : un smartphone, un fer à repasser ou encore un téléviseur par exemple. Si l’internaute clique sur le lien du produit, il arrive sur un site marchand : s’il passe commande, alors le média touche une commission qui peut aller en général de 4 à 6 pourcents du montant de l’achat.
L’avantage pour le média, outre la rémunération, c’est qu’il ne dépend pas de la marque, mais du distributeur via lequel l’internaute fait son achat : la Fnac, Cdiscount, Darty, ou encore Amazon, qui est un gros partenaire “”affiliation”.
Comment les sites d’informations gèrent-ils l’aspect déontologique de l’affiliation?
En fait, il existe deux écoles chez les médias en ligne. Pour les médias en ligne classiques, le journaliste ne doit absolument pas toucher à ça. Le journaliste n’écrit pas les articles destinés à l’affiliation, et ne met pas de lien vers des sites marchands dans ses articles. C’est une autre personne qui s’en charge. Par exemple, Le Figaro met en ligne des pages d’affiliation, mais elles ne sont pas écrites par les journalistes du Figaro et cela est clairement mentionné sur cette page. 20 minutes a aussi mis en ligne des guides d’achat en ligne : ces contenus éditoriaux centrés sur une thématique spécifique comme les smartphones ou les téléviseurs sont l’équivalent des guides d’achat qu’on trouve dans la presse papier : hors-série automobile ou hors-série ordinateurs, par exemple. Cette démarche classique est très éthique, mais peu rémunératrice. Pourquoi ? Parce qu’il faut salarier une personne à plein-temps pour insérer les liens dans les articles, ou faire appel à une agence extérieure.
Avec la deuxième école, les journalistes peuvent écrire eux-mêmes des contenus éditoriaux clairement destinés à inclure un grand nombre de liens d’affiliation. Par exemple, ils mettront en ligne un dossier “spécial smartphones” dans lequel des liens seront insérés par la suite. Mais là encore, les journalistes ne sont pas forcément amenés à inclure les liens eux-mêmes, tout simplement parce que ça prend du temps, et qu’il vaut mieux qu’ils consacrent leurs activités à ce qu’ils savent faire de mieux, c’est-à-dire écrire des articles.
Des sites d’information qui utilisent l’affiliation vont-ils jusqu’à rémunérer les journalistes en fonction des performances commerciales de leurs articles?
Techniquement, ce serait possible, mais à ma connaissance cette situation n’existe pas. Car l’objectif premier du journaliste doit être le rédactionnel, et pas le commercial. En outre, une telle rémunération pourrait créer un vrai risque de distorsion dans l’orientation du papier journalistique. Un journaliste qui verrait un intérêt économique à ce que les produits qu’il cite soient achetés par ses lecteurs risquerait de voir son éthique altérée, dans le sens où il aurait tendance à « masquer » les défauts de tel ou tel produit.
Quel chiffre d’affaires peut-être généré avec l’affiliation?
Un site high-tech peut voir le chiffre d’affaires de l’affiliation être supérieur au chiffre d’affaires généré par la publicité display. Et un site connu, spécialisé sur les articles relatifs à des produits high tech comme les smartphones, les APN ou les ordinateurs, atteint le million d’euros. Un site à très forte audience et centré sur des produits à forte valeur ajoutée peut en percevoir plusieurs millions d’euros.
Quelle part représente l’affiliation dans les sources de revenus des sites d’informations?
Difficile de donner des proportions, toujours est-il que, hormis les abonnements et les achats d’articles à l’unité, les revenus des sites d’infos sont générés par trois vecteurs : d’abord la publicité display, qui peut être automatique (RTB) ou négociée de gré à gré. Ensuite, l’affiliation, et enfin l’événementiel, comme des conférences ou des séminaires payants.
Propos recueillis par Journalisme Magazine.