Chaque mois, un journaliste nous raconte son métier : reporter, photographe, iconographe, preneur de son, cadreur, relecteur… Aujourd’hui, Emmanuel Mangin, 48 ans, nous parle de son métier de secrétaire de rédaction. Un métier qui fait écho à l’exigence de rigueur journalistique née à l’époque de Théophraste Renaudot.
Vocation
« En fait, c’est par hasard que je suis devenu secrétaire de rédaction, même si ce métier est aujourd’hui devenu ma passion. Après une khâgne, une maîtrise d’histoire et un DESS de gestion du patrimoine culturel, j’ai fait une mission pour une exposition sur le peintre orientaliste Robert Génicot. Là, j’ai dû assurer la « vue d’ensemble » de l’expo. En fait, ça allait de la rédaction des communiqués de presse à la conception et rédaction des « cartels », ces petits panneaux informatifs qu’on colle près de chaque tableau. Ces cartels devaient obéir à des règles typographiques très strictes: toujours le même ordre de présentation entre le nom du peintre, le titre de l’oeuvre, et l’année de réalisation, toujours la même typo, bien sûr. Ce travail de formatage m’avait beaucoup plu. En fait, je faisais déjà du secrétariat de rédaction sans le savoir, parce que je devais réunir et redéployer avec une grande cohérence d’ensemble une très grande quantité d’informations.
Formation
Après, je suis ensuite monté à Paris où j’ai fait un stage de formation pour devenir webmaster à l’Ecole Multimédia. Un jour, dans cette école, j’ai trouvé un prospectus pour une « formation au secrétariat de rédaction » et je me suis dit : « mais c’est ça que je veux faire ! » J’ai commencé en mars 2008 par un stage à Télérama -c’était le seul titre auquel j’avais envoyé un CV, et, par chance, c’est le seul à avoir répondu favorablement (rires). Là, j’ai été ébloui par la qualité du plateau d’édition : il y avait au moins six à huit secrétaires de rédaction, six à huit correcteurs, trois à quatre maquettistes, sans compter les iconographes, ainsi que trois chefs d’édition : un pour le magazine, un pour les critiques et un pour la grille des programmes télé.
J’y ai travaillé aussi bien au print que sur le site web, mais j’étais frustré car l’activité était très compartimentée. Par exemple, un article à corriger faisait référence à « un article du Pèlerin ». Or il n’y a pas d’article à « Pèlerin », ce journal ne s’appelle pas « Le Pèlerin », mais tout simplement Pellerin. Donc il fallait écrire « selon un article de Pèlerin »…
Mais impossible de corriger l’erreur comme ça ! Il a fallu organiser une réunion avec le rédacteur, la chef d’édition, et moi même, pour constater l’erreur, en discuter, et la corriger. Curieusement, j’aimais bien m’occuper de la grille télé avec son calage précis, ses coupes au signe près pour que ça rentre bien pile-poil dans les cases. Quant au circuit de la copie à Télérama, c’était le grand luxe : (voir l’animation « Le circuit de la copie à Télérama » ici), il existait un grand nombre d’étapes avant que le papier ne soit validé par le rédacteur en chef.
Les débuts
J’ai fait ensuite des piges à 20 minutes, Entrevue et Choc. A 20 minutes, j’ai été surpris parce qu’en fait, ils ont un gros niveau d’exigence au niveau du SR (« secrétariat de rédaction », NDLR), notamment beaucoup de fact-checking, contrairement à ce qu’on aurait pu croire concernant un journal gratuit. Puis j’ai travaillé dans la presse automobile, notamment pour un magazine de tuning -c’était drôle et j’ai appris plein de choses, comme par exemple au sujet du savoir-faire d’un carrossier qui pouvait faire des créations absolument extraordinaires mais d’un goût, comment dire, tout à fait étonnant, c’est sûr, mais en même temps c’était très enrichissant, je découvrais un univers que j’ignorais complètement.
À partir de 2011, j’ai enchaîné les CDD et les piges, notamment à La Revue, du groupe Jeune Afrique, à Relaxnews aussi, une agence de presse. J’ai également travaillé pour les pages régionales d’un grand hebdomadaire. Là, j’ai été étonné par le très grand nombre de textes mal écrits, remplis de boursouflures, d’imprécisions et d’erreurs. Par exemple, pour un article sur le vélo électrique, le rédacteur écrivait : « il décuple l’effort par deux donc c’est moins fatigant. » Bon, d’une part, décupler, c’est multiplier par 10, et ensuite si l’effort est décuplé, c’est plus fatigant et non pas moins fatigant… Donc je passais un temps fou à tout vérifier, par téléphone. Le pire, c’était les informations relatives aux restaurants: par exemple, si le rédacteur parlait d’un filet à la sandre qui coûtait 23,90 €, neuf fois sur dix le prix n’était pas le bon ou le plat n’était plus à la carte. J’ai même vu le cas où le rédacteur donnait les dates d’un festival de musique à Budapest, et j’ai cherché partout sur le Web pour avoir des précisions quant à la date. En désespoir de cause, j’ai appelé l’office du tourisme hongrois, et ils m’ont expliqué que le festival n’existait plus depuis 2 ans…. Avec les autres correcteurs et secrétaires de rédaction, on se demandait : « mais pourquoi la direction ne met-elle pas plus d’argent sur le recrutement de bons pigistes, ça leur coûterait moins cher en secrétaires de rédaction freelance ! »
À partir de 2013 j’ai aussi travaillé en pige pour la revue We demain et pour Vanity Fair. Alors à We demain, au début, c’était assez folklorique : je leur ai demandé : « où est la marche maison ? » – c’est-à-dire la charte typographique propre au magazine : chaque journal ou magazine en a une, c’est le document qui recense les règles du magazine pour les façons de présenter les livres. Par exemple, d’abord le titre en italiques, puis le nom de l’auteur, puis celui de l’éditeur, etc. Eh bien on m’a répondu qu’il n’y en avait pas… Donc je l’ai créé de toute pièce. Ces « marches maison », ou « chartes maison », sont extrêmement importantes pour un journal ou un magazine. D’ailleurs celle du Monde était si bien faite qu’elle a même été publiée un jour. [Journalisme Magazine n’a pas encore de « marche maison », d’où parfois des guillemets comme ceci, « , ou parfois comme cela, «, NDLRNDLR signifie "note de la rédaction."]
La journée type
Il n’y a pas de journée type, mais disons qu’en général, la tâche commence par la préparation de la copie: là, le SR va contrôler les informations et corriger les fautes, il va aussi appliquer les règles de typographie. A ce stade, on fait aussi la titraille : le titre, le chapôUn "chapô" est un court texte qui présente l"article et, en principe, doit donner envie de le lire. etc. Le papier passe ensuite en maquette, et, au retour de maquette, commence l' »editing » ou, en français « l’édition » : les légendes des photos, les intertitres, les exergues ou relances -qui sont de gros intertitres qui occupent une bonne partie de la page en caractère très gras.
Au cœur du métier
Une page commence avec la « têtière », qui indique le type de rubrique. En bas de page on trouve la « roulette », qui comprend le numéro de page -plutôt le folio, dans le jargon- le titre de l’article, et le cas échéant, le crédit photo. L’ours, lui -à savoir la liste des collaborateurs du journal- fait partie de ce qu’on appelle « les servitudes », qui comprennent aussi les pages d’abonnement et le sommaire, et qui fonctionnent un peu toujours sur le même modèle.
En général, quand on voit qu’un papier est bien écrit, c’est très bon signe pour la suite : on sait qu’il y aura peu d’erreurs ou d’incohérences. Mais si dès le début du papier, on voit des erreurs sur les noms propres, sur les titres et fonctions, sur les dates, si on voit des approximations, là on est pris d’un doute et on commence à tout vérifier dans tous les sens. Parfois, il faut carrément modifier la structure entière d’un papier : beaucoup de gens ne savent pas écrire, en fait. C’est-à-dire qu’ils ne savent pas organiser un article, ni faire un plan cohérent, phénomènes aggravés par le fait qu’en France, on aime bien faire des phrases compliquées et emberlificotées, parce que ça permet de « faire écrivain » -ils oublient souvent ce mot de Pascal : « je n’ai pas eu le temps de faire court ». Quand je vois des phrases comme ça, j’ai envie de paraphraser Audiard en disant : « mais c’est quoi cette manie des rédacteurs de faire des phrases… » Souvent d’ailleurs, on doit retirer des phrases entières, tant elles sont creuses et ne veulent rien dire.
Alors le métier ne consiste pas seulement à corriger, bien sûr. Par exemple, le SR peut être amené à faire de l’editing, c’est-à-dire les légendes, les titres, les chapôs (le texte introductif, NDLR)… A We demain, j’en faisais peu parce que j’étais totalement inhibé par mon expérience à Télérama, où tout était cloisonné. Donc je faisais peu d’editing. Mais Vincent Truffy, à Vanity Fair, m’a « décoincé » en me disant : « je dis toujours aux secrétaires de rédaction : ne vous censurez jamais sur les titres et la titraille, les rédacteurs en chef sont là pour ça !«
Quand on me demande de parler de mon métier, je le compare souvent à celui de joaillier ou de polisseur. Le polisseur travaille et polit la pierre qu’on lui apporte -moi, c’est l’article. Je le polis, et j’en retire les impuretés. Ce qui compte, finalement, c’est que l’article soit un bijou. »
BONUS : le rémunération des secrétaires de rédaction
Nous n’avons pas parlé de rémunération avec Emmanuel, mais voici quelques sites qui donnent des fourchettes de salaires :
CIDJ : https://www.cidj.com/metiers/secretaire-de-redaction