“Ils ont ri quand il s’est assis au piano. Mais quand il a commencé à jouer…” Cette phrase d’accroche est devenue une légende dans le monde du marketing direct -cette activité qui consiste à envoyer des mailings à des des gens en espérant qu’ils passent commande.
Il s’agissait de la première phrase d’une publicité pour une méthode d’apprentissage du piano. L’annonce en question a dépassé toutes les espérances du commanditaire: des centaines et des centaines de coupons-réponse découpés, et de commandes reçues.
Par quel effet magique? Tout simplement parce qu’elle incite irrésistiblement le lecteur à lire la suite de ce qui apparaît comme une histoire. Une histoire à fort enjeu : qui ne s’est pas senti ridicule quand un public commence à rire avant même qu’on ne prenne la parole, ou manifeste bruyamment des doutes quant à la prestation ou la performance qui s’annonce? Qui n’a jamais rêvé de faire cesser ces rires ou de dissiper les doutes dès le début de sa performance? Qui n’a pas envie de briller au sein d’un cercle d’amis ou de connaissances? En deux phrases et dix-sept mots à peine, le lecteur s’imagine déjà tout un décor, tout une tension, tout une histoire.
L’accroche de votre article ne vend rien d’autre que… le désir de lire la suite de l’article. La première phrase -« l’accroche » – est donc fondamentale. Pour vous en convaincre, observez les gens lorsqu’ils lisent un journal ou un magazine dans le métro : ils jettent un oeil sur la page, « scannent » la photo, le titre et l’accroche, et, trop souvent… zappent – au grand désarroi de l’auteur de l’article présent inopinément dans la rame de métro.
Plusieurs types d’accroches sont possibles :
L’accroche-citation :
La plus facile et la plus efficace. Rien de plus accrocheur qu’une phrase prononcée par quelqu’un : nous entrons immédiatement dans une dimension dramaturgique, comme au théâtre. L’oralité et très accrocheuse, elle fait entrer votre lecteur immédiatement dans le bain du papier. Ce sont des accroches du type : « Jamais je ne signerai ce contrat! », tonne M. De Mesmaeker, industriel belge. » Mais, selon Robert Fiess, fondateur de l’Académie Prisma Presse pour la Presse Magazine, « ce type d’accroche est tout de même un peu trop facile… » A vous, par conséquent, de choisir une phrase choc ou intrigante.
L’accroche “historiette” :
Ici, la première phrase est quasiment une historiette, voire une “nouvelle en une phrase” semblable à la “mini-nouvelle” attribuée, sans doute à tort, à Hemingway : “A vendre : chaussures bébé, jamais portées.” Un bon exemple avec cette accroche de Mathilde Frénois dans Libération (30 septembre) : “Dans le bassin, Inouk peaufine le dernier tour qu’il a appris.” Pas d’oralité, ici, mais le plongeon direct dans une histoire. Un excellent moyen d’immerger le lecteur dans l’article.
L’accroche-mystère :
Elle fait référence à un événement que le lecteur ignore encore. Il veut donc lire la suite pour découvrir l’explication de ce mystère. Ici, l’accroche de Quentin Laurent dans Aujourd’hui en France (30 septembre 2020) remplit cette fonction : avec “On n’avait plus l’habitude de voir la droite sourire”, le lecteur veut savoir ou se rappeler pourquoi elle avait perdu cette habitude. Il veut aussi savoir ce qui lui a rendu le sourire.
Même phénomène avec cette accroche d’Etienne Moatti dans l’Equipe (30 septembre 2020): “Les spécialistes en lecture labiale n’auront jamais autant été sollicités.” Le lecteur veut savoir pourquoi on évoque la méthode de lecture sur les lèvres, et pourquoi les spécialistes de la lecture labiale ont été sollicités (un mystère plane sur ce que se sont dit des joueurs sur le terrain, énigme qui pourrait être résolue grâce à la lecture labiale.)
L’accroche-fractale :
L’accroche n’a pas seulement pour fonction d’attirer l’attention du lecteur. Dans l’idéal, elle doit l’inciter à lire l’article jusqu’au bout. Comment ? Grâce à sa dimension “fractale”. Une fractale est une forme géométrique qui laisse apparaître des motifs similaires mais à des échelles d’observation de plus en plus fines, comme des flocons de neige ou les ramifications d’un chou romanesco. Autrement dit, l’accroche idéale est un résumé de votre article : cette simple phrase contient en effet tous les ingrédients de celui-ci, elle en est le reflet miniature, et la quintessence.
Dans cet article d’Aujourd’hui en France, l’accroche indique toute la structure de l’article, en deux parties. D’une part, “la gueule de bois” des bars et restaurants due à la crise du Covid, (baisse de chiffre d’affaires des bars, désertion de la clientèle, difficultés financières), et d’autre part la “fronde” qui s’organise (protestations, appels aux politiques, etc.)
Quand rédiger l’accroche ?
A la fin de votre enquête… Car c’est à ce moment là, quand vous aurez accumulé une quantité importante d’informations, que vous serez saturé de faits, de chiffres et de citations, que l’accroche viendra d’elle-même -comme une goutte d’eau qui tombe spontanément d’une stalactite. C’est le “premier coup d’archet” de votre papier : le signal du départ, qui vous indique qu’il est temps de vous élancer sur votre page blanche, comme un skieur se lance dans sa descente juste après avoir entendu le “top départ”.
Une bonne accroche, c’est donc la garantie de conduire sans encombres, sans heurts, sans accident, votre lecteur et votre lectrice jusqu’à… la chute.
Laurent Calixte
Pour aller plus loin :
https://www.orsys.fr/formation-rediger-des-titres-des-accroches-efficaces.html