Journaliste radio, c’est un métier qui ne s’improvise pas. Mais parfois, un journaliste Web ou de presse “papier” peut être amené à produire un podcastQu"est-ce qu"un podcast ?Un podcast est une émission de radio de ratio téléchargeable, ou qu"il est possible d"écouter en streaming.. Quels sont les réflexes à acquérir, les connaissances de base à connaître, les erreurs à ne pas commettre? Les conseils de Quentin Dickinson, jusqu’à fin 2019 envoyé spécial permanent de Radio France et de RFI à Bruxelles.
Existe-t-il un « style radio »?
Existe-t-il un “style” particulier de l’article radio? Faut-il faire court? Long? Exprimer ses émotions? Jouer sur la voix, l’intonation?
Tout d’abord, il faut prendre conscience du fait qu’en radio, on est exposé, en direct, au bord de la falaise, et que la voix peut vous couler ou au contraire vous porter. Il faut trouver un ton juste et naturel, or beaucoup de gens ont une façon de s’exprimer différente selon qu’ils parlent à un public ou en privé.
Mais à mon avis, c’est une erreur, car alors on n’est pas vraiment naturel dès lors qu’on veut parler à un public, on est hésitant, on a l’air emprunté, ou alors on emploie un ton compassé. Donc la bonne formule consiste finalement à parler en privé comme on parle au micro. S’habituer à parler en permanence de manière soutenue permet de garder le même ton à l’antenne, sans que cela paraisse artificiel.
Ensuite, il vaut mieux adopter un phrasé qui nous est propre, et ne surtout pas imiter les intonations, le phrasé ou les tics des autres. Un bon exercice consiste à s’exercer devant son miroir : d’abord, détendre ses cordes vocales, en se mettant à gueuler “A ! E ! I !O ! U !” plusieurs fois de suite, puis lire le papier à voix haute mais à toute vitesse et en criant – oui, en criant, voire en hurlant – ainsi vos cordes vocales auront-elles été détendues et le texte coulera très naturellement à l’antenne ou lors de l’enregistrement.
L’art oratoire ne consiste pas à parler vite, évidemment, mais à savoir moduler la vitesse d’élocution. Un texte radio, c’est comme un chemin de fer, il comporte des aiguillages, où le convoi doit ralentir. C’est-à-dire des passages où il faut parler plus lentement, parce que ces passages sont difficiles à comprendre. Après ces “aiguillages”, on peut de nouveau parler normalement, plus vite.
Et attention à l’improvisation, c’est un art très difficile : en radio, les journalistes de sport sont très respectés parce qu’au fond, ce sont les seuls qui sont obligés d’improviser en permanence, puisqu’ils commentent un match en direct – mais cette improvisation a bien sûr été rendue possible par un travail préalable de documentation.
Existe-t-il des différences entre l’écriture “radio” et l’écriture… écrite, sur papier ou sur le Web?
Oui, par exemple, en radio, il ne faut pas redouter les répétitions: on peut dire deux fois le même mot à trois phrases de distance quand il faut enfoncer le clou. En radio, les auditrices et auditeurs ne peuvent pas vous relire : être clair et audible est donc une nécessité absolue – d’autant plus que les gens écoutent parfois la radio dans des environnements bruyants: bruits de la salle de bain au réveil, klaxons quand ils sont en voiture…
Le vocabulaire doit aussi être compris par tous: tous les groupes d’âge, et tous les niveaux de formation. Et pas d’abréviations, par pitié… Pas de doubles ou triples négations non plus, elles sont difficiles à comprendre. Eviter aussi les allusions subtiles, ou les formules alambiquées, comme “On laisse entendre que…” Ainsi Laurent Joffrin écrit-il d’excellents éditoriaux dans Libé, et il peut se permettre à l’écrit d’employer un style ironique ou très littéraire, mais à la radio, l’ironie ne passe pas.
Autre conseil: toujours garder le même niveau de langage, ne pas mélanger la langue soutenue et la langue familière, ne pas raconter, en radio, une attaque de banque à main armée en parlant de “braquage”, par exemple.
Oui mais là, tout dépend du style et du public de la radio? Une radio peut volontairement miser sur un style familier, voire populaire?
Oui, bien sûr, tout dépend des radios, mais à la radio et à la télévision, les journalistes sont prescripteurs, ils doivent avoir conscience que les gens vont avoir tendance à parler comme eux. Mais attention aussi à l’excès inverse, à savoir le jargon d’expert. Plus un journaliste se spécialise, plus il est tenté de parler comme les experts de son secteur, il faut vraiment veiller à débarrasser son texte de tout jargon.
Y a-t-il des cas où un journaliste “Web” aurait intérêt à faire son article sous la forme d’un podcast plutôt que d’un article écrit ?
En fait, on ne peut pas dire que tel ou tel type de sujet ou d’article se prête davantage à l’écrit, ou à la radio, ou à la vidéo. Dans un monde idéal, et sur un site d’info idéal, il y aurait, un journaliste “radio” pour l’audio, un journaliste “presse écrite” pour l’écrit, et un journaliste reporter d’images pour la vidéo. A chacun son métier, même si les problèmes de coûts amènent souvent les rédactions à demander aux journalistes de faire plusieurs métiers à la fois.
Maintenant, au sujet de la préparation du papier, il existe deux écoles. Une école dit : “il faut écrire le papier juste avant d’aller à l’antenne.” Parce que dans ce cas, le journaliste sera plus spontané. Une autre école dit : “il faut écrire le papier une heure avant, puis aller se promener ou s’aérer, et relire l’article cinq minutes avant l’antenne, car là, on voit tout de suite ce qui cloche et on peut corriger”. Les deux écoles sont dans le vrai, à chacune et chacun de choisir sa méthode.
Radio: ce que les podcasts ont changé dans la façon de travailler
Qu’est-ce que les podcast ont modifié dans votre façon de travailler ?
Les podcasts – ou “émissions à la demande” – n’ont pas fondamentalement modifié ma façon de travailler, non, mais il faut distinguer deux types d’émissions à la demande. Dans le premier cas, il s’agit de l’accès à une émission déjà diffusée.
La BBC utilise parfaitement cette fonction de rediffusion : allez voir leur site, il est simple, clair, rapide et intuitif, (cliquer ici pour avoir un aperçu de la grille NDLR), on voit tout de suite la grille de la journée, heure par heure, avec en gras l’émission en direct. Et un curseur rouge permet d’avancer ou de reculer dans l’émission – je ne sais pas pourquoi, mais le curseur des sites de Radio France ne permet pas de naviguer aussi facilement dans l’enregistrement de l’émission, il faut souvent réécouter l’ensemble de l’émission si on veut retrouver un passage déjà diffusé.
Dans le second cas, il s’agit d’une émission qui a été conçue dès l’origine comme un “podcast” : il peut s’agir d’une émission spéciale, assez longue, avec beaucoup d’infos, qui ne rentrerait pas dans le cadre de la grille normale. Il peut aussi s’agir d’une version modifiée d’une émission déjà diffusée : par exemple, une chronique durant laquelle le chroniqueur est interpellé par l’animateur ou par des invités.
Si vous rediffusez la chronique telle quelle, l’auditeur ne saura pas qui interpelle le chroniqueur – par exemple, sur France-Inter, il arrive que Charline Vanhoenacker intervienne sur le mode plaisant pendant une chronique politique ou économique. Si l’émission est rediffusée telle quelle, sans la séquence précédente où Charline avait été présentée, l’auditeur ne comprend pas pourquoi une voix féminine non identifiée vient interrompre le chroniqueur. Il faut donc dans ce cas réenregistrer la chronique “à blanc”, sans interpellations ou interruptions. Donc oui, au quotidien, il m’est arrivé de réenregistrer des chroniques “à blanc” pour qu’elles soient diffusées sous forme de podcast.
Conseils, matériel, applis, et astuces
Quels sont les meilleurs micros pour les petits budgets ?
Finalement, le micro le plus résistant et le plus polyvalent reste le LEM DO21 B, il est quasi indestructible et tout-terrain puisqu’on peut s’en servir en reportage et en studio. On peut aussi le relier à un smartphone avec câble en “Y” à trois sorties, une vers le smartphone, une vers le casque audio, et une vers le micro. Je ne sais pas combien il coûte actuellement, mais on peut le trouver d’occasion sur l’internet.
Est-ce qu’il existe des applications “spécial radio” quand on travaille avec un smartphone ?
Oui, l’application ReportIt permet d’enregistrer et d’envoyer ses enregistrements au studio et aussi d’intervenir en direct. Avec les applications, tout est possible, y compris des applis de montage, on en trouve même qui sont gratuites sur l’internet. Alors bien sûr, Radio France, elle, dispose d’un matériel ultra-professionnel, mais pour des reportages radio occasionnels, ces applis sont assez performantes.
D’une manière générale, quels sont vos conseils et recommandations concernant le matériel ?
Quand il a fallu choisir entre Android et Apple, les labos de Radio France ont fait beaucoup de tests, et ils ont conclu qu’il valait mieux s’équiper en Android (peu importe la marque, ensuite, Samsung ou autre), parce que Apple vous enferme dans leur écosystème, il faut ensuite acheter des cordons ou des pièces exclusives à Apple et qui sont hors de prix.
Quels sont les trucs et astuces que vous recommandez quand on est à l’antenne ou qu’on enregistre ?
Tout l’enjeu est de retenir l’attention de l’auditeur ou de l’auditrice, car leur attention faiblit radicalement au delà de 40 secondes. Alors, pour stimuler leur attention, on peut par exemple intercaler des fausses hésitations comme “le Premier ministre semblait… comment pourrait-on dire… ?” – alors qu’on sait très bien comment on va le dire. Autre conseil : vous devez être sûr de vous à l’antenne, savoir exactement de quoi vous parlez, et bien maîtriser votre dossier. Donc il ne faut jamais accepter la pression du court-terme. Par exemple, si un patron me disait: “une radio concurrente vient de diffuser une info importante il y a cinq minutes, il faut faire quelque chose”, je répondais: “donnez-nous vingt minutes, et nous aurons des infos supplémentaires que la concurrence n’a pas.”
Prendre le temps qu’il faut permet aussi d’éviter les bourdes, comme celle commise par dont le reporter d’une radio du nord de l’Europe, qui avait évoqué une manifestation de “survivants” s’agissant une catastrophe aérienne où tous avaient péri.
Dernier conseil : lire votre texte à voix haute… pendant que vous l’écrivez. Ainsi, vous saurez tout de suite si la “musique” du texte est bonne ou pas. Et cela vous prépare aussi à le dire ensuite à l’antenne ou lors de l’enregistrement.
Propos recueillis par Laurent Calixte
BONUS: 5 conseils de présentation radio de la BBC Academy