Un jour, je surfais sur Google News pour avoir des infos sur la tempête Amélie: combien de départements en vigilance Orange, la région parisienne serait-elle touchée, dénombrait-on déjà des foyers dépourvus d’électricité ?
Et je me suis surpris à cliquer sur des articles qui n’avaient rien à voir avec la tempête Amélie: Untel clashe Unetelle chez Cyril Hanouna, le scandale d’Untel pendant les Anges de la téléréalité, etc.
Anges de la téléréalité contre Banque centrale européenne : le fight
Autrement dit, je consulte Google News pour me tenir informé, et je me retrouve à cliquer sur des articles dont la frivolité n’a d’égale que la vacuité. Que se passe-t-il ? Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Il m’arrive ce qui touche sans doute beaucoup d’internautes: j’ai confondu information et distraction.
L’information est ce qui me permet de faire mon devoir de citoyen éclairé: comment va le monde ? Où en est l’économie ? Quid du réchauffement climatique ? Comme le disait Hegel dans Discours et fragments, “la lecture du journal, le matin au lever, est une sorte de prière du matin réaliste.”
La distraction, elle, est le levain qui rend l’information comestible et digeste. Sans articles distrayants, difficile de s’emparer d’un journal pour y lire les dernières infos concernant la Banque centrale européenne ou le mouvement des gilets jaunes. Mieux: sans “éléments de distraction” au coeur même d’articles dits “sérieux” (accroche frappante, intertitres mystérieux, etc.), difficile de lire de A à Z un article sur la politique de la Banque centrale européenne ou le “quantitative easing.”
Le cocktail détonnant de Pierre Lazareff
Bref, la presse est un curieux alliage fait d’information et de distraction.
Le cocktail, dont la formule fut optimisée par Pierre Lazareff avec le France Soir de la grande époque, ou par Jean-François Kahn avec la première mouture de Marianne (qui mélangeait habilement articles de fond et brèves insolites décapantes) a longtemps parfaitement fonctionné.
Mais avec le Web, tout change. Pourquoi ? Parce que tant qu’un produit de presse possédait des limites physiques (nombre de pages pour un titre papier, nombre de minutes pour un reportage audio ou vidéo), il était possible et même nécessaire d’opérer un arbitrage entre l’information et la distraction. Ceci afin d’offrir un équilibre au lecteur et à la lectrice.
Avec Internet, avec le “infinite scroll”, avec la voracité infinie du Web, il est possible pour chaque site d’info de diffuser un maximum d’informations “frivoles” pour faire du clic. Sans se soucier de conserver l’équilibre entre “infos divertissantes” et “infos sérieuses.”
« J’étais un junkie de l’info »
Résultat des courses: les infos distrayantes pullulent sur le Web et sur les agrégateurs. Et quand je crois m‘informer parce que je consulte Google News, je ne me rends pas compte que je ne fais que m’y distraire. Un phénomène observé par l’écrivain suisse Rolf Dobelli, qui raconte dans son livre Stop reading the news qu’il était devenu un « accro de l’info » : « J’étais un junkie. Surtout quand l’internet est apparu dans les années 90 et que les nouvelles étaient disponibles gratuitement, n’importe où et n’importe quand« .
A première vue, une manne pour les sites d’info, ravis de voir tous ces junkies se précipiter sur leurs sites pour augmenter le nombre de pages vues et les recettes publicitaires. De quoi lutter contre leur faible rentabilité, qui frappe notamment les sites d’info indépendants. Mais aussi un obstacle à la définition d’un business-model sain, qui devrait s’appuyer non pas sur l’addiction à l’info, mais sur la définition d’une politique de qualité et une politique de prix cohérentes.
L’info déclenche un flux de dopamine
Pour la journaliste Catherine Franssen, du site Salon, même les mauvaises nouvelles agissent comme une drogue : “la réaction immédiate au stress est palpitante. Un flux adrénaline nous prépare à une réaction de stress de combat ou de fuite. Nos hormones du stress s’activent, font battre notre cœur, puis nous nous sentons effrayés. Puis vient un étrange soulagement : le système de récompense du cerveau vous dit que vous avez survécu, et par conséquent vous vous sentez bien pendant un moment. Ensuite, vous partagez peut-être l’histoire avec vos proches, et vous êtes fier de savoir que les autres y ont prêté attention, et cela vous fait vraiment du bien, comme si vous aviez fait quelque chose d’utile. Mais ensuite, ces effets positifs s’estompent. Vous commencez à vous sentir vide et peut-être un peu paniqué, et vous vous mettez à chercher une autre histoire. C’est comme si vous faisiez des montagnes russes ou que vous étiez accro à une drogue. »
Cette offre massive d’articles frivoles ou anxiogènes, déjà maximisée par notre préférence d’humains pour les articles légers ou choquants, est encore amplifiée par un phénomène que des chercheurs de la Haas School of Business de l’Université de Berkeley viennent de mettre en exergue. En fait, selon eux, l’info en elle-même agit comme une drogue. Exactement comme les “like” de Facebook, qui déclenchent un flot de dopamine.
Attention à la « curiosité paresseuse »
« Pour le cerveau, l’information est sa propre récompense, et ce sans même qu’elle soit utile ou non« , y affirme le professeur Ming Hsu, un neuro-économiste dont la recherche utilise tout une panoplie d’outils, comme l’imagerie magnétique fonctionnelle (IRM), la théorie psychologique, la modélisation économique et l’apprentissage automatique. « Et tout comme nos cerveaux aiment les calories inutiles de la malbouffe, ils peuvent surévaluer l’information qui nous est agréable, mais qui n’est peut-être pas utile, ce que certains appellent la curiosité paresseuse.”
Son article, « Common neural code for reward and information value« , expose les bases des neurosciences qui expliquent la façon dont nous consommons l’information.
« Nous avons pu démontrer, pour la première fois, l’existence d’un « code neuronal commun » pour l’obtention d’information et pour l’obtention d’argent, qui ouvre la porte à un certain nombre de questions passionnantes sur la façon dont les gens consomment, et parfois trop, l’information, » explique l’auteur de l’étude.
Etude de la curiosité
Le document est centré sur l’étude de la curiosité. Alors que les économistes ont tendance à considérer la curiosité comme un moyen d’arriver à un but, (obtenir de l’information pour obtenir un avantage dans la prise de décisions), les psychologues l’ont longtemps considérée comme une motivation innée. Qui peut, par elle-même, motiver les actions. Par exemple, les fans de football peuvent aller regarder les cotes d’un site de paris en ligne pour tel ou tel match, même s’ils n’ont pas l’intention de parier.
Pour mieux comprendre ce phénomène, les chercheurs ont scanné le cerveau de volontaires pendant qu’ils jouaient à un jeu de hasard. Chaque participant a dû déterminer quelle somme il était prêt à payer pour en savoir plus sur ses chances de gagner.
Dans la plupart des cas, les sujets de l’étude ont fait des choix rationnels en fonction de la valeur économique de l’information (c’est-à-dire combien d’argent elle pouvait les aider à gagner). Mais ils avaient aussi tendance à surpayer l’information même quand elle n’était pas vraiment utile.
Exactement lorsque nous voulons savoir quel salaire va nous proposer un chasseur de tête, même si nous n’avons pas l’intention de quitter notre entreprise.
Comment le cerveau réagit-il à l’information ?
En analysant les résultats de l’IRM, les chercheurs ont découvert que l’information sur les cotes des jeux a activé les régions du cerveau qui sont impliquées dans le processus d’évaluation (le striatum et le cortex préfrontal ventromédical).
Or ce sont ces mêmes régions du cerveau qui produisent de la dopamine, et qui sont activées pour l’obtention d’aliments, ou d’argent, par exemple. Et c’était le cas que l’information soit utile ou non, et qu’elle modifie ou non la décision initiale de la personne.
En d’autres termes, selon Ming Hsu, le cerveau traite la curiosité pour l’information en utilisant le même code que celui qu’il emploie pour l’obtention d’argent et d’autres récompenses matérielles.
Bien que la recherche ne porte pas directement sur la surconsommation d’informations en ligne, le fait que la recherche et l’obtention d’informations mobilise le système de récompense du cerveau est une condition nécessaire pour le cycle de la dépendance, conclut-il. Et cela explique pourquoi nous trouvons si irrésistibles les alertes disant que nous avons été taggé sur une photo. Et pourquoi je clique, encore et encore, sur des liens vers des articles relatifs aux Anges de la téléréalité.
Il s’agit là d’une perspective importante pour les sites d’info: le clickbait ne satisfait le lecteur ou la lectrice qu’à court-terme. Il ne les nourrit pas culturellement ni intellectuellement. Ils ne se sentent pas enrichis par la lecture de ces articles, qui ne fait que renforcer leur addiction à l’info.
Par conséquent, si ces infos superficielles sont livrées gratuitement par pelletées entières, et nous donnent à chaque fois un « shoot » de dopamine, pourquoi vouloir payer pour de l’info dite sérieuse ? Autant espérer que des clients aient soudain envie de payer pour des repas gastronomiques alors qu’ils peuvent trouver partout, urbi et orbi, des Mc Do gratuits qui calmeront la faim de leur curiosité sans assouvir leur soif de culture.
Sans doute la réponse à cette question réside-t-elle dans le fait que les internautes se shootent à l’info, sans jamais avoir le sentiment d’être rassasiés.
Et c’est ce besoin de satiété qui peut les amener à s’orienter vers des sites payants qui, tout en titillant leur curiosité, leur donneront aussi envie de se cultiver à long terme.
Laurent Calixte
Pourquoi allez-vous survoler cette case avec le pointeur de votre souris ?
Pourquoi allez-vous survoler cette case avec le pointeur de votre souris ?
Par simple curiosité.